PROFONDO SCORPIO

Profondo Scorpio

Jazz et musiques improvisées

14000 CAEN
Il est des coupables que l’on montre du doigt un peu trop facilement. Un gogo se jette à corps perdu dans une aventure aussi lucrative que mortelle ? On accuse immédiatement la vamp, qui lui a aimablement suggéré l’idée, d’être une de ces femmes fatales chères au film noir. De la même façon, il suffit de retrouver une femme artistiquement découpée dans le décor fantasque d’un théâtre romain pour qu’on accuse le premier tueur sadique venu d’être l’auteur des faits. Cela relève certes de ses petits hobbies. Il a certes du sang sur sa chemise. Il ne manque certes pas de cran d’arrêt. Mais gare aux préjugés. Rome ne s’est pas faite en un crime.
Le giallo, ce thriller italien qui associe l’intrigue à tiroir, les assassinats à l’arme blanche et les excès formels du baroque latin, a malheureusement contribué à ces regrettables à priori ? Plus aucun maniaque ne peut passer à l’heure du crime sur une scène de meurtre sans être condamné d’avance sur recettes. Or, dans tout bon giallo, il ne faut pas se fier à l’évidence. Toujours un détail nous échappe qui aurait pu nous mettre sur la bonne piste.
Revoyons la scène. Retour rapide sur le magnétoscope.
Extérieur nuit. Il pleut sur Turin. La victime sort de chez elle. Elle a froid et remonte le col de son imper. Un couple de cuivres passe devant elle en se tenant la main. Il joue un thème doux et feutré pour ne pas réveiller les voisins. La femme se dirige vers sa voiture. Une main gantée de cuir noir entre dans le champ et en écarte les feuilles. On voit la femme de derrière un buisson. Un basse-batterie s’emballe légèrement. Elle ressort, claque rageusement la porte et décide de partir à pied sous la pluie. Elle marche rapidement. Et le basse-batterie la suit exactement au même rythme. Elle se retourne, croit voir une silhouette au loin. Cela l’inquiète, elle accélère. Le basse-batterie accélère aussi. C’est louche. Elle décide d’égarer son poursuivant et de s’engouffrer soudainement dans une ruelle sombre sur sa droite. Elle retrouve là le thème doux et feutré du couple de cuivre. La voilà rassurée. Elle ne se rend pas compte que les deux instruments l’avaient comme par hasard précédée dans la ruelle. La trompette et le saxophone font semblant de s’enlacer. Elle passe devant le couple sans percevoir les infimes nuances menaçantes du thème. Elle entend à nouveau le pas pressé du basse-batterie derrière elle, elle n’ose plus se retourner de peur de voir la silhouette. Elle pense pouvoir tourner au coin de la ruelle avant d’être rejointe. Juste au moment où elle croit déboucher pour se trouver sur un grand boulevard rassurant où elle pourra héler le premier taxi qui passe, elle se cogne contre un couac de trompette. Affolée, elle se retourne pour se heurter immédiatement à une stridence de saxophone qui lui vrille les tympans et les nerfs. Elle croit voir une silhouette approcher. C’est le basse-batterie qui galope à perdre haleine. Un couteau à cran d’arrêt se lève et s’abat sur la victime impuissante qui lève les bras pour se protéger. Il s’abat plusieurs fois. Jusqu’à ce qu’elle s’écroule. Une tache de sang sur la chemise du tueur. La pluie a cessé. Long silence pesant. Dans le reflet d’une flaque d’eau, les lumières de la ville se teintent en rouge sang. Fondu au noir.
Une tache de sang sur la chemise du tueur, un cran d’arrêt dans la poche suffiraient à le condamner ? Croyez-vous que les instruments, tous présents au moment du crime et qui ont suivi la victime depuis son domicile jusqu’à son dernier souffle puissent être considérés comme innocents parce qu’ils ne tenaient pas le couteau ? N’ont-ils pas participé à effrayer la victime ? N’est-ce pas cette peur qui l’a poussée à s’engouffrer dans une ruelle sans témoin, un lieu parfait pour le crime ? Ont-ils essayé de retenir le couteau qui s’éleva et s’abattit, d’après le médecin légiste, huit fois ? N’auraient-ils pas plutôt, par la frénésie de leurs rythmes et de leurs désaccords maléfiques excité la rage meurtrière du tueur sadique qui simplement se promenait par là à trois heures du matin comme le font souvent les tueurs sadiques ?
Il n’y a pas une scène de crime d’un film noir qui ne soit accompagnée d’un quartet de jazz complice. Pas une scène de giallo silencieuse. Et quand bien même en trouverions-nous, le cinéma resterait muet. L’exception confirmerait la règle. La musique est coupable et, à travers elle, les musiciens.
Ceci est un avis de recherche.
Profondo Scorpio est ce quartet de jazz qui a quitté son pays pour venir commettre ses forfaits sur les terres du cinéma de genre italien. Une association de quatre malfaiteurs bien connus des services de musique a passé les Alpes clandestinement. Voici leurs signalements : Charles-Antoine Hurel, batterie. Hugues Letort, basse. Pierre Millet, trompette, sifflements. Samuel Frin, composition, sax baryton, radio, objets.
Blaise Zagalia

Les productions :

PROFONDO SCORPIO (ALBUM VINYLE ET NUMERIQUE)

Jazz et musiques improvisées
Date de sortie : 10/03/2022