Une Histoire des Musiques Electroniques (UHME) est une création de 2021 écrite et mise en scène par René Fix, produite par Snark et coproduite par le Cargö. Uhme est interprété par Lisa Lisa et Zélie.
Synopsis : « Uhme, une intelligence artificielle qui cherche à « apprendre à aimer », offre une « machine à jouer » à deux artistes qui pensaient assister à une conférence autour des musiques électroniques. Dans un huis-clos théâtral, et sous la surveillance de Uhme, les deux musiciennes livrent alors une confession en trois mouvements, qui seront autant d’étapes dans la découverte, la compréhension et la maîtrise de cette forme d’expression musicale majeure du XXIème siècle ».
Rencontre avec Françoise Grieu, René Fix, Lisa Lisa et Zélie au cours de la résidence et de la restitution au Cargö le 30 avril 2021.
Pouvez-vous nous parler de la genèse du projet ?
Françoise Grieu : Tout a commencé un jour de fête, celle de la musique à Caen, terrain Savare le 21 juin 2019. René se prêtait à l’exercice physique de la présentation d’un panorama de la création musicale électronique. Venue soutenir mon ami et président, je propose illico de transformer l’essai et de créer un spectacle pédagogique qui pourrait enrichir les propositions de l’association, forte de son réseau « Peace & Lobe » (concerts de sensibilisation risques auditifs musiques actuelles). Je lui propose de réfléchir aux jeunes talents qu’il a repérés que nous pourrions embarquer dans l’aventure. D’emblée René rebondit sur un concept de spectacle à part entière qui associe une dimension documentaire à une ambition de création artistique, musicale et visuelle.
Nous sommes animés par l’envie d’entreprendre, de nous lancer un défi un peu comme dans une union sacrée pour secouer le cocotier ! L’énergie pour moi de signer une production véritablement choisie, de renouer avec mon passé Nordik.
C’est dans la liesse des nuits électroniques caennaises que nous entreprenons deux jeunes DJ, Lisa Lisa et Angseth, qui peuvent former un duo féminin-masculin épatant. Nous confions notre plan à Jean-Claude Lemenuel qui l’accueille avec intérêt. Nous en puisons une ressource de motivation.
Une Histoire des musiques électroniques devient Le concept « UHME », son acronyme tout simplement que nous prononçons HUM quand Max Leduc de la Luciole l’appelle YouMe.
René Fix : En amont d’Uhme, il y a cette expérience de journal intime public que je livre depuis près de cinq ans à travers les pages Cave Caenem. Grand (et vieux) clubber devant l’éternel, je consigne chacune de mes « soirées » electro à Caen et en région, et au fil du temps (et faute de concurrence) ces pages sont devenues, de fait, un point de rencontres et de discussion autour de l’actualité « electro» locale. Uhme, c’est une continuité « spectaculaire » de Cave Caenem, une façon différente de témoigner de la vitalité de cette scène artistique, avec, en plus, l’envie de faire découvrir, et qui sait, comprendre et aimer les ressorts créatifs de cette musique aussi riche que complexe. Tout le reste, et donc la genèse du spectacle, relève d’une indicible alchimie entre affinités, amitiés et surtout travail ….
Qui est Uhme ?
R. F : Uhme est un personnage à part entière dans le spectacle. Sa présence, permanente sur scène sous la forme d’un nuage mental vidéo, en fait le grand « orchestrateur » de la soirée. Plus concrètement il s’agit d’une intelligence artificielle qui parvient à maintenir sur scène les deux artistes que sont Lisa Lisa et Zélie et qui, tel un chercheur derrière son microscope, tente de comprendre comment on peut aimer cette musique tout en enrichissant sa propre mémoire numérique des confessions musicales auxquelles se livrent les deux « confinées » volontaires. Sa présence, à la fois spectrale et froide, s’oppose à la vivacité dynamique des deux djs présentes en « live » sur scène, et permet ainsi de faire un lien entre les spectateurs, novices ou connaisseurs de cette musique, et ce qui se déroule sur scène ;
A quelle étape de la création, le choix de Lisa Lisa et de Zélie s’est-il fait ?
R. F : Lisa Lisa est la complice « historique » de ce projet que j’ai débuté il y a près de deux ans. Elle a participé à toutes les étapes de création (initialement avec Angseth, parti par la suite vers des aventures écossaises). Zélie a rejoint notre petite équipe de création en juillet dernier, et avec elle cette double couleur féminine désormais. De manière naturelle, avec ces deux artistes, je retrouve le nécessaire équilibre entre deux univers presque organiques de la musique « electro », celui du clubbing et celui de la « teuf ». En veillant à ne jamais réduire les deux djs à cette unique identité, elles proviennent toutes deux, de par leur parcours musical et esthétique, d’un versant capital de la nuit « electro » et constituent, ainsi, le « pile » et la « face » d’une médaille. Il fallait, par ailleurs, par-dessus notre passion commune pour cette musique, que puisse s’installer au plus vite un climat de confiance, d’estime et d’écoute réciproque pour que ces deux artistes se « livrent » à mon projet tout en veillant à ce que ce dernier ne les enferme pas dans un processus de création où elles seraient simplement instrumentalisées. Dans une certaine mesure, et même si je reste garant de l’unité artistique de l’ensemble, Uhme reste avant tout une collaboration artistique au sens premier du terme et il ne pouvait se concevoir sans l’assurance initiale de cette complicité. C’est un projet qui s’est lancé dans une de ces discussions de soirées et qui, à l’image des enthousiasmes de l’enfance a débuté par un « chiche » et qui maintenant encore nous unit...
A quel public est destinée cette création et peut-on être novice et ne rien connaître aux musiques électroniques pour l’apprécier ?
F.G : Tout public. Des afficionados aux plus éloignés de la culture « électro », justement. Il s’agit de partager le goût, l’intérêt, la passion. C’est un peu l’électro pour les nuls ! Il s’agit d’apporter des éléments de connaissances, des références, d’ancrer dans l’Histoire de la musique la production électronique, de lui donner des lettres de noblesse.
L’enjeu : pouvoir jouer au théâtre de Caen pour le public de la musique classique, en ouverture des saisons culturelles, de festivals tout autant que dans des soirées underground et des salles de fêtes de campagne pour les collégiens. UHME est tout terrain.
R. F : Je souhaite, plus que tout atteindre, avec Uhme, une dimension populaire, cela signifie pour moi la volonté de m’adresser à un public aussi large que possible. Ce n’est pas sans risque puisque cela sous-entend une forme de « vulgarisation » qui ne vienne pas réduire ou caricaturer cette musique même que nous souhaitons honorer. Mais tout comme il y a une certaine provocation à proposer du théâtre dans une salle comme le Cargö, il en irait de même pour des spectateurs de théâtre en croisant Uhme.
Pour me résumer, je souhaite croiser, provoquer les regards et proposer, plus modestement, un moment d’évasion poétique où les yeux, la tête et les oreilles sont séduits sans qu’aucune de ces composantes humaines ne prennent le pas sur les autres…
« UHME » s’inscrit à la fois comme une création musicale avec une forte « théâtralité » et une immersion dans l’univers des musiques électroniques qui porte implicitement des valeurs/intentions éducatives. Comment avez-vous pensé ce difficile équilibre entre création et transmission ?
F. G : Difficile ? Non c’est simple au contraire pour moi si on a quelque chose à dire. Il faut faire un spectacle, c’est-à-dire faire le show pour que ça passe, une performance scénique sincère, exigeante, soignée, comme on cuisine avec amour. Quoi de plus gratifiant quand on sort d’un spectacle, d’un film, d’un livre avec le sentiment d’avoir appris quelque chose sans didactisme.
R. F : N’est-ce pas là l’enjeu de toute création ? Pour répondre autrement que par une pirouette rhétorique, c’est effectivement ma préoccupation centrale. On ne peut pas conjuguer le verbe « aimer » à l’impératif, mais il me semble qu’en prenant, avec tact et gentillesse, le public par la main pour lui montrer des « moments » de création, bref en lui dévoilant poétiquement une partie de la technique qui se cache derrière toute expérience artistique, on peut raisonnablement espérer une forme de complicité, voire de fascination émerveillée, comme celle que l’on a quand on voit un potier faire d’une masse de glaise un vase. C’est un peu de cet émerveillement initial et là encore enfantin que je cherche à mettre en image. Le spectacle est pensé en toute autonomie intellectuelle, il porte en lui les références minimales pour comprendre les « gestes » initiaux et les racines « historiques » de cette musique mais il tente, très vite, de faire exploser le cadre « conférence » pour s’attacher à faire du spectateur un Uhme en puissance qui, lui aussi, chercherait simplement à apprendre…. à aimer !
Uhme met en avant deux artistes issues de la scène des musiques électroniques. Pourtant, même si elles viennent toutes les deux de cette même grande famille, on s’aperçoit qu’elles proposent et opposent deux esthétiques complètement différentes. Lisa et Zélie, pouvez-vous nous présenter votre style et le(s) public(s) que vous touchez dans les sets que vous présentez ?
Lisa : Je ne joue pas d’un unique style de musique électronique. Je sélectionne des titres qui me plaisent, peu importe le genre. Leur point commun serait d’être assez hypnotiques, presque sensuels et ayant une épaisseur émotionnelle certaine, notamment par leur ligne de synthé, la mélodie m’importe beaucoup. Je privilégie les morceaux progressifs qui me permettent de faire monter en puissance mon set de façon presque imperceptible. Mon style va de la house de Larry Heard (Mr Fingers) à l’IDM britannique des nineties.
Je pense que je touche le public qui comprend là où je veux l’amener, qui est ouvert à plein de genres musicaux, qui écoute de tout, ça me plait d’arriver à faire danser des clubbers et des rockeurs dans la même soirée. Je ne suis pas sûre que je contente les grands amateurs du genre, avec leurs codes très rigides et une vision plutôt fermée de cette musique, mais tant mieux, ceux-là m’ennuient.
Zélie : Mon style c’est vraiment une techno hybride entre industrielle et hardcore/doomcore. Pour résumer ces gros mots, je garde la construction de la techno, très binaire, et son bpm lent (entre 130 et 145), avec le côté sombre, machinale, mécanique de l’industrielle, je garde le kick gras (j’ai presque envie de dire «gratuit») et l’esprit parfois un peu fanfaron du hardcore, ainsi que l’atmosphère ambient du doom, avec des breaks à rallonge. Je joue des sets qui sont très progressifs, pour vraiment essayer de plonger le public et de l’emmener avec moi dans ces univers-là, qui ne sont pas toujours facilement abordables au premier abord. Finalement, j’arrive à toucher autant des personnes qui aiment la techno que des personnes plutôt hardcore, deux styles qui à priori ne jouent pas dans les mêmes salles ni dans les mêmes horaires, et ça me rend très heureuse de pouvoir faire du lien !
En temps normal lors de vos représentations vous avez plus l’habitude d’être et de ne faire qu’une avec vos machines et vos platines. En l’occurrence, c’est vous qui avez le contrôle sur le public et qui le dirigez dans ses mouvements. Avec Uhme, le processus semble inversé : c’est lui (public néophyte de musiques électroniques) qui vous impose les mouvements en vous faisant jouer sur un mur d’images. Comment avez-vous abordé cette manière de vous mettre en avant sur la scène ?
Lisa : Avec Uhma le processus n’est pas si inversé, c’est un spectacle, nous jouons aux Djs coincées par la machine mais en vérité nous maitrisons tout du début à la fin de la représentation. En revanche, la performance est effectivement totalement différente, entre être musicienne/ Dj sur scène et comédienne, voir danseuse ^^, il y a un monde.
Ce spectacle a pour but de transmettre des émotions et une certaine poésie dans un univers qui en est parfois dépourvu. Je tenais énormément à ce rendu presque romantique et pour se faire il nous a paru évident de devoir se livrer sur scène comme jamais auparavant, c’était la condition sine qua non pour atteindre aussi bien les oreilles que les cœurs des spectateurs.
Zélie : C’est plutôt compliqué ! Moi qui aime tellement me réfugier dans la concentration d’un set derrière mes machines qui plus est... Le fait de faire écouter des morceaux, et de ne pas forcément les jouer à tous les moments, de ne pas être dans une continuité sans arrêt de la musique, on se sent un peu inutile face à son matériel ! Mais au final, pour ma part, j’essaye de continuer à faire lien entre la musique et le public, comme dans un DJ set. Les tracks ne sont pas choisies au hasard, ce sont des morceaux qui ont du sens pour Lisa et pour moi, et comme on les aime, comme on se sent vraiment investie par ces musiques, finalement il se passe quand même quelque chose pour nous (enfin je parle au nom de Lisa mais je pense qu’elle sera d’accord avec ce que je dis!), peut-être c’est simplement plus sensoriel et poétique que technique.
Uhme :
Fiche Music Box
Site internet
Instagram
Dossier de presse
Copyright photo : Gregory Forestier