Quatre ans après la parution de leur dernier album « Ancient Majesty » sorti en octobre 2018, Portier Dean revient avec un nouvel EP 2 titres « CFNT / TSSNT » le 2 septembre 2022. Rencontre avec Gildas qui nous parle de cette sortie.
Portier Dean a sorti son premier EP en 2014, peux-tu nous faire une petite historique du groupe .
Je n’ai pas la chronologie exacte en tête parce que les années passent, mais je pense qu’on peut dire que ça fait environ 10 ans maintenant qu’on fait de la musique. Les débuts étaient très amateurs. A l’origine Portier Dean c’est deux potes qui se retrouvent pour passer un bon moment et faire de la musique. Ça s’est accéléré en 2014 quand on a gagné contre toute attente le Tremplin AOC du Cargö. Là les choses se sont un peu accélérées, même si ce n’était pas le projet quand on a commencé un an, un an et demi avant.
Quand on a gagné ce tremplin, on a gagné le droit de jouer au Festival Beauregard. Avant ce passage en festival, on avait dû faire seulement quatre ou cinq concerts sonorisés. C’était vraiment une énorme découverte pour nous à plein d’égards. Donc, on peut dire ça, autour de 2012 pour les débuts, 2014 pour le premier EP, 2015 pour le deuxième, premier album en 2018, et là notre troisième EP en 2022.
Ce nouvel EP est sorti le 02 septembre. Pourquoi simplement deux titres sur cet EP et tout ce temps entre sa sortie et celle de l’album en 2018 ? 2 titres, ce n’est pas un peu frustrant pour le public ?
C’est frustrant pour le public et c’est frustrant pour nous aussi, parce qu’en réalité quand on a sorti l’album en 2018, on avait déjà commencé à faire de nouveaux morceaux. Pendant le temps de tournée de l’album, c’est-à-dire un an et demi, voire deux ans, on gardait les nouveaux morceaux dans l’ordinateur en attendant une prochaine sortie, ce qui peut déjà expliquer les deux ans.
Et après, comme beaucoup de groupes et d’artistes, on a été chamboulés dans notre organisation par la crise sanitaire, tout simplement. On a passé quelques mois à tâtonner un peu, à continuer malgré tout et à travailler sur nos démos. On a pris du retard, et quand ça a commencé à redémarrer à nouveau avec des concerts, on était un peu moins dans une nécessité de boucler nos heures, donc on a préféré prendre notre temps et sortir les morceaux à un moment opportun. La rentrée de septembre est symbolique pour nous.
C’est un EP 2 titres, mais à la base, ça aurait dû être un petit album. Mais le temps passant et nos ressources financières diminuant – parce que quand on ne fait pas de concert, il n'y a pas d’argent qui rentre, on a préféré garder les deux morceaux qu’on trouvait les plus forts et puis en faire quelque chose de bien et les sortir.
Deux morceaux, et deux morceaux en français. Pourquoi ?
C’est une bonne question. C’est une grande nouveauté c’est vrai. Si tu écoutes nos disques, tu verras qu’à chaque fois, on teste de nouveaux sons, de nouvelles méthodes d’enregistrement, de nouveaux instruments. Sur l’album, on a commencé à tester des batteries électroniques. Et là, quand on a refait des morceaux, j’ai un peu lancé le défi à Gwendal en lui disant qu’on n’avait jamais essayé de chanter en français.
J’ai une culture d’angliciste et d’anglophone, j’ai vécu en Angleterre, et je n’avais jamais écrit en français. Donc voilà, c’était une sorte de défi qu’on se lançait à nous-mêmes parce qu’on aime bien tester des choses. C’était un des défis les plus compliqués à relever pour nous. Ça nous a parfois bien mis en galère d’écrire des paroles, on avait l’impression que c’était nul, alors qu’en fait les gens qui ont déjà entendu le disque nous ont dit que c’était plutôt agréable à écouter.
Et dans la voix, est-ce que c’est le même travail ?
Techniquement, je pense que non. Je ne dois pas avoir tout à fait le même timbre en anglais et en français. D’ailleurs, quand je donnais des cours à l’université, mes étudiants me le faisaient remarquer. Donc je pense que dans le chant effectivement, il doit y avoir des textures et des tonalités un peu différentes.
Ces deux morceaux sont également assez énigmatiques dans leurs intitulés… CFNT et TSSNT… On peut les interpréter de différentes manières ?
Tu as des propositions à faire ? (rires). Les titres sont les titres de travail. Tu sais, quand tu composes de la musique, tu enregistres dans l’ordi et il faut donner un nom au fichier pour faire ta sauvegarde. Parfois, tu appuies un peu comme ça sur les touches au hasard. Là on va dire que ça correspond effectivement à des périodes d’écriture… je n’en dis pas plus. Il ne faut pas focaliser sur le mystère autour des titres, et puis on ne voudrait pas non plus que donner la clé empêche les gens d’imaginer autre chose que ce qu’ils écoutent. Il faut se dire que ça peut être ce que tu proposes, mais aussi que ça peut être autre chose.
Dans l’écriture et la composition, comment vous vous répartissez les tâches Gwendal et toi ?
Eh bien justement, il n’y a jamais eu de recette. Dans certains cas, c’est Gwendal qui arrivait avec une chanson quasiment finie, dans d’autres cas c’était moi, ou dans un troisième cas de figure, on avait les instruments, on improvisait et des choses naissaient de ça…. Ça peut être un petit riff de quelques secondes qui te plait et tu le gardes.
Le texte vient avant l’écriture ?
Non, quasiment jamais. C’est souvent la musique qui vient en premier, ou alors c’est une idée. Par exemple, ça m’est arrivé d’avoir envie de chanter sur tel ou tel sujet, et la musique et les paroles se façonnaient un peu en même temps. Mais il n’y a jamais eu telle personne qui fait ceci ou telle personne qui fait cela. Sur les morceaux de l’EP, Gwendal a beaucoup plus travaillé sur les guitares et les claviers, et moi beaucoup plus sur les guitares et les basses. C’est un truc que j’ai toujours aimé faire, même si ça n’a jamais été mon rôle défini, mais sur ces deux morceaux-là, ça s’est fait comme ça. Mais si on avait sorti deux autres des morceaux qu’on avait en brouillon, ça aurait pu être complètement autre chose.
Par contre, pour l’écriture, c’est majoritairement Gwendal, mais il y a des passages qui ont été écrits ensemble aussi. C’est fluctuant, on fait en fonction de ce qui se passe et on laisse les choses se faire. Ça peut être un peu stérile d’attribuer toujours le même rôle à la même personne, dans la mesure où on aime bien tous les deux faire des choses différentes, toucher un peu à tous les instruments. Ça nous laisse un peu plus de liberté.
C’est vous qui faites tout au départ en ce qui concerne les instruments ?
On fait tout. En studio, soit on joue tout, soit on estime qu’il faut demander à un musicien qui va avoir une meilleure maîtrise technique. On a un squelette et un vrai batteur comme Philippe Boudot va apporter un groove quand même plus intéressant. Mais la batterie de TSSNT, c’est moi qui l’ai écrite aussi. Sur l’album précédent, il y a des pistes de batterie que je jouais. Ça n’a pas été joué par des batteurs comme Guillaume Aubertin de Concrete Knives ou par Philippe Boudot. Avec un peu moins de technique souvent d’ailleurs, mais ça m’a fait plaisir de faire cette prise de batterie que j’avais écrite.
Et sur scène, comment ça se passe ?
Sur scène, c’est pareil. C’est en fonction des opportunités, des besoins. Adrien Leprêtre a joué avec nous, Mickaël Roth qui est dans Makeshift également. Guillaume Aubertin, Philippe Boudot, Pierre de El Ayacha ont occasionnellement joué avec nous aussi. En fait, on recrute les personnes en fonctions des besoins qu’on a. Ce sont des rencontres, des feelings qui se font. On avait développé une formule duo où on présentait nos morceaux dans des versions soit réécrites, soit épurées. On a joué à trois, à quatre, à cinq. Ça dépendait de la place qu’il y avait sur scène aussi, des fiches techniques, de la rémunération. Quand il n’y a quasiment pas d’argent, c’est difficile d’emmener tout un groupe et de ne pas pouvoir les rémunérer. Et en général, dans ces cas-là, on jouait à deux.
A quel moment est née la relation avec le Collectif Toujours et Adrien Leprêtre ?
Avant Collectif Toujours, il y avait mon amitié avec Adrien qui remonte à 2013 ou 2014 je pense. A l’époque, on était tous les deux à Radio Phénix. Lui était service civique en technicien son et moi, j’étais animateur bénévole. C’est lui qui faisait la technique sur mon émission. On s’est aperçus qu’on avait des goûts en commun, qu’on s’entendait bien et qu’on avait des sensibilités proches aussi. On a commencé à parler musique, et ensemble, on a commencé à organiser un concert ou deux.
Et de fil en aiguille, on l’a sollicité pour Portier Dean, il nous a vraiment épaulés et aidés à faire nos premiers enregistrements parce qu’on n’était pas vraiment branchés technique. C’est un truc qui nous dépassait un peu au début, on a commencé à enregistrer très tard dans nos vies. Ensuite Adrien m’a sollicité pour l’écriture de paroles pour Samba de la Muerte. Tout ceci fait qu’il y a une relation artistique qui se développe au fil du temps.
Tu as écrit les textes pour quel album de Samba de la Muerte ?
Depuis presque le début en fait, sur les EP, et sur le dernier album « A Life With Large Opening », j’ai écrit plus de la moitié des textes. J’ai écrit quasiment toutes les paroles de « Fast » par exemple. Ça se fait assez naturellement aussi. Adrien a aussi des besoins et des envies qu’il m’exprime. Parfois, il a déjà fait des textes, on les refaçonne un peu ensemble, parfois ce n’est pas nécessaire. C’est très ouvert comme façon de travailler et c’est très agréable.
Est-ce qu’il y aura une release de prévue pour la sortie de l’EP ?
Non, on fait ça de manière assez modeste cette fois-ci. On avait déployé un arsenal important pour l’album avec attaché de presse, release party… Là le contexte est assez différent, la crise sanitaire a vraiment changé beaucoup de choses, j’ai changé de métier, Gwendal a eu un enfant. Tout ceci modifie ton rapport à ta pratique artistique. On s’est dit qu’on avait vraiment envie de sortir ces morceaux qui attendent depuis plus d’un an, mais que si on n’avait pas les moyens pratiques, techniques et financiers de faire une sortie en bonne et due forme, il ne fallait pas qu’on s’interdise de partager les morceaux, parce que ça nous tenait à cœur de le faire.
Ce sera une sortie physique, numérique ?
Uniquement numérique. On a fait des CD, des vinyles, mais tout ça coûte un bras. Curieusement, on a vendu énormément de CD, tout ce qu’on avait quasiment à chaque fois, par contre en ce qui concerne les vinyles, ça ne se vendait pas si bien que ça alors qu’on ne les vendait pas chers.
Il y a également le retour de la K7 chez certains labels.
Oui, il y a ça aussi. J’imagine qu’il va y avoir un marché de lecteurs qui va renaitre… Onto Records a par exemple sorti certains enregistrements de Glass en K7. C’est un parti prix intéressant, mais au point de vue du son, je ne pense pas que ça ait beaucoup d’intérêt. C’est plus un retour à l’objet physique comme le vinyle.
D’ailleurs c’est marrant, parce qu’on assiste vraiment à une numérisation et une dématérialisation de la société avec les serveurs en ligne, le streaming, la VOD. Tout devient un peu distant et irréel, mais on sent que ça peut susciter des angoisses chez certaines personnes qui ont un besoin de revenir à quelque chose de concret. Je ne suis pas trop comme ça, j’ai pas mal de CD, quelques vinyles, mais si on devait faire un bilan de mon temps d’écoute en fonction du support, de loin ce seraient les plateformes de streaming. Et pourtant, je suis quelqu’un d’assez attaché au réel et au physique, mais pour la musique, je trouve qu’il y a une telle facilité, et comme je suis assez gourmand et que j’écoute beaucoup de choses, je pioche un peu partout. Et ça, je ne peux pas le faire en achetant des CD, je le fais avec le streaming.
J’ai la chance aussi de bosser pour Ouest-France, et parfois, on m’envoie des choses et c’est cool. Parfois je découvre des trucs pour les besoins d’une interview d’artistes que je ne connais pas forcément. Je vais travailler leur discographie pour arriver prêt pour l’interview.
Et qu’est-ce que tu as découvert d’intéressant dernièrement, dans la région ou ailleurs ?
En région, je n’ai pas fait de découverte. En revanche, j’ai vraiment kiffé le dernier album de Superpoze, un caennais exilé, mais un caennais néanmoins et j’adore la musique d’Etienne Froidure avec son projet La Mante. J’ai joué un peu avec lui, mais ce n’est plus le cas depuis que je suis parti à Nantes et revenu. C’est vraiment magnifique ce qu’il fait.
Sinon, je suis vraiment bluffé par le talent de Kae Tempest, artiste hip-hop anglais·e en pleine transition sexuelle actuellement. Je l’ai découverte il y a cinq ou six ans et je trouve qu’il y a un talent d’écriture. Si on connait un petit peu l’anglais, c’est absolument remarquable cette audace dans l’écriture. J’ai vraiment beaucoup écouté ça ces derniers temps. Pour revenir à la scène régionale, j’aime aussi beaucoup l’écriture de Jyeuhair.
Ces influences jouent-elles dans ton écriture ?
Je ne pense pas. J’ai énormément de mal à pointer très précisément des influences. Gwendal et moi, on a des goûts en commun, mais on a aussi des goûts très différents sur certaines choses. Lui il aime beaucoup les musiques traditionnelles comme le flamenco, mais ça ne s’entend pas vraiment dans notre musique. Par contre on est tous les deux fans de Porches, un artiste anglophone dont on admire l’audace et l’inventivité. Peut-être que ça s’entend un peu sur CNFT, mais ça c’est pour les connaisseurs parce que ça reste des musiques de niche même s’il a une carrière internationale et était à Paris il y a quelques mois. C’est marrant, il y a des gens qui entendent des choses dans notre musique qu’on n’a jamais souhaité mettre, mais c’est intéressant parce que c’est bien qu’il y ait une forme de liberté dans l’écoute.
D’autres sorties sont prévues prochainement ?
Il n’y a pas de date, mais tout ce que je peux dire, c’est qu’on a d’autres morceaux. Il y en a encore au moins deux ou trois que j’aime vraiment beaucoup, un peu inspirés de manière distante par Beach House, un groupe un peu dream pop. Avec des paroles en français aussi. On a un autre morceau qui au départ est pas mal influencé par Mount Kimbie, un duo anglais. On aime bien ce groupe-là, ce sont deux copains de longue date, ça nous fait un peu penser à nous, on aime bien leur courage inventif. Ils testent beaucoup de choses et ça nous plait bien. Mais c’est difficile d’identifier clairement des influences, on est forcément influencé d’une manière ou d’une autre.
Par contre, ce que je peux dire, c’est qu’on a tous les deux des tics de composition, et ça c’est à la fois énigmatique et pénible, parce que c’est hyper dur de lutter contre ce qu’instinctivement tu vas avoir tendance à écrire mélodiquement ou à chanter. D’où ça vient ? C’est difficile de comprendre comment ça fonctionne. Par exemple, si on prend les démos que j’ai faites tout seul et les démos que Gwendal a composées tout seul, on va retrouver à chaque fois des points communs dans la façon de chanter.
Chez Gwendal, il y a quelque chose de très sauvage, ça part souvent dans tous les sens, c’est souvent déstructuré. C’est parfois un peu fouillis, mais c’est son style et je trouve qu’il a énormément de bonnes idées. Si tu écoutes mes démos, ça va être un peu plus mélancolique, le chant va être plus trainant, lancinant. Et mutuellement, on essaie de s’empêcher de tomber dans des travers de composition. Parfois ça peut être un peu vexant. On fait également parfois des exercices de style musicaux. On se dit on va faire un morceau qui ressemble à tel groupe. C’est rare qu’on garde tout ça, mais on s’amuse à le faire. C’est drôle d’essayer de s’emparer de la créativité de quelqu’un pour essayer de faire pareil.
Vous ne jouez jamais ces morceaux sur scène ?
On a fait des reprises parfois, mais pas beaucoup. On a toujours préféré jouer nos morceaux. On trouvait que ça n’avait pas beaucoup d’intérêt de faire des reprises, et surtout, il y a plein de gens qui le font beaucoup mieux que nous. Il y a de grands techniciens contre qui on ne souhaite absolument pas se battre et qui sont trop forts. Nous on a toujours été des bricoleurs de la musique, on n’a pas de formation théorique, on n’a pas de gros niveau, mais on adore bouiner, faire des trucs, créer. Gwendal et moi avons pris quelques cours de guitare, mais très loin du niveau de certains musiciens. Mais on s’est aperçu qu’il y avait des gens très forts techniquement qui n’avaient pas beaucoup de créativité et d’autres qui n’étaient pas très bons mais qui regorgeaient d’idées. Il n’y a pas de règle en fait.
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