Ana Kap sort simultanément deux albums « Surprise » et « Bel Astroblème ». Ils présenteront ces deux albums le 9 mars au Studio L’Ermitage où ils partageront le plateau avec le trio David Georgelet, Yoni Zelnik et François Chesnel pour les 20 ans du Petit Label. Rencontre avec Pierre Millet qui nous présente Ana Kap et nous parle de ces événements.
En quelques mots, peux-tu nous présenter le projet Ana Kap ?
Ana Kap est né, je dirais il y a une douzaine d’années, peut-être un peu plus, je ne sais pas exactement. J’ai commencé à bosser avec Jean-Michel Trotoux, l’accordéoniste d’Ana Kap sur un projet avec une conteuse autour des Fables de La Fontaine. Il y avait accordéon, trompette et une conteuse qui contait des fables plus ou moins grandes de La Fontaine. C’était un univers assez sympa. Jean-Michel ou moi composions autour des fables.
A cette époque, j’écoutais beaucoup Dave Douglas, un trompettiste américain actuel que j’écoute toujours. A la fin des années 90 et au début des années 2000, il a fait deux beaux albums « Charms of The Night Sky » et « A Thousand Evenings » avec accordéon, trompette, contrebasse, violon. En fait, c’est presque Ana Kap, avec une contrebasse en plus. Ces deux albums m’ont fasciné en ce qui concerne la cohésion du son entre l’accordéon, le violon et la trompette.
Ça m’a emmené vers d’autres chemins, et quand j’ai commencé à travailler avec Jean-Michel, je me suis dit qu’il fallait continuer ensemble parce qu’on se marrait bien. Jean-Michel est un super compositeur et accordéoniste. De mon côté, je connaissais Manuel Decocq avec qui je jouais de temps en temps dans la région, et je lui ai demandé de venir jouer avec nous. On avait déjà une ossature Jean-Michel et moi, et Manuel a amené des morceaux. On est toujours restés autour de notre musique, ou alors de la musique des copains. On a un ou deux potes qui nous ont offert ou donné des compositions, mais on reste un peu axés sur notre musique. Au final, il y a trois esthétiques assez différentes. Ça donne une richesse de son. En tout cas, c’est ce qu’on nous dit.
Sur les compositions, les différentes influences se sentent ?
Ça peut être un jeu de se dire « qui a composé ça ? ». On joue un morceau, et je pense que c’est facile de savoir lequel d’entre nous l’a composé. Jean-Michel est un compositeur, qui, quand il ramène quelque chose, on a l’impression que c’est l’évidence. On a l’impression que c’est un standard, un morceau qui a toujours existé. Il a ce talent de faire quelque chose qui fonctionne.
Manuel, c’est très poétique, ça parait aussi évident, mais c’est peut-être un peu plus original. Et pour ce qui me concerne, ça part dans tous les sens, ça peut être easy-listening comme ça peut être complètement dans la recherche d’expérience.
Forcément, on a tous des styles différents. Notre esthétique dépend de nos individualités.
Quel lien entretenez-vous avec Le Petit Label ?
Ce lien existe depuis le début. Je bosse avec Le Petit Label depuis longtemps, parce qu’avant je jouais avec le quintet Renza Bô et on a sorti des disques ensemble. Quand j’ai demandé au Petit Label de travailler avec Ana Kap, il y avait un rapport de confiance qui était déjà installé. On bosse aussi avec un autre label à côté. Ce qui est génial avec Le Petit Label, c’est qu’on n’est pas du tout dans une logique commerciale, c’est de la décroissance. On sort le disque, on en sort 100 exemplaires ; si on a tout vendu, on en refrabrique 100, etc. On ne se retrouve pas avec des cartons dans le grenier.
Généralement, c’est un peu dans l’esprit du jazz. C’est-à-dire que les productions et les enregistrements se font assez rapidement, ça se mixe assez rapidement, ça sort très rapidement. Et très vite, on va refaire un autre disque. C’est vraiment dans l’esprit de la musique improvisée du jazz. On n’est pas du tout dans un travail minutieux de production comme dans la pop et dans le rock. En fin de compte, des albums, tu peux en faire beaucoup plus et beaucoup plus simplement. Par exemple, pour les deux disques qu’on sort, on les a faits en 3 jours.
C’est presque du consommable de suite (rires).
Pourquoi sortir simultanément ces deux albums-là, alors que peut-être, sur un schéma plus commercial, vous auriez pu garder un flux.
L’idée, ce n’est pas forcément que les disques, entre guillemets, fonctionnent. Tu écris la musique, une fois que tu as l’envie, ou la disponibilité, ou la possibilité au niveau du répertoire d’enregistrer, tu enregistres. Dès que c’est fait, tu le sors. Tu ne réfléchis pas et tu en refais un. Ce n’est pas du tout comme dans un processus visant à avoir des vues. On est tellement dans le micro-business, que ça nous est égal d’avoir de la visibilité, même si on est contents d’en avoir. Ce n’est pas dans cela qu’on met notre énergie. Bien sûr, on est comme tout le monde, si des personnes disent que c’est super et qu’elles veulent nous voir et nous entendre, on est heureux.
Ces deux albums sont complémentaires ?
Ils ont été enregistrés en même temps. Par exemple, « Surprise » est un album sur lequel on a invité Betty Jardin. On a enregistré au moment de Noël lorsqu’il y avait beaucoup de disponibilités. Entre Noël et le Jour de l’An, il n’y a pas beaucoup de concerts pour les musiciens parce que c’est une période un peu morte. Il n’y a pas beaucoup de salles qui programment par exemple entre le 24 et le 31 décembre. C’est donc une très bonne période pour enregistrer, parce que tout le monde est disponible.
On a donc fait les enregistrements à ce moment-là et ça m’a permis d’inviter mon frère, ma belle-sœur qui venaient manger pour Noël et qui sont musiciens professionnels tous les deux. Il y a tout une concordance qui fait qu’en fin de compte, c’est presque un disque de Noël. Sur « Bel Astroblème », j’ai également invité un ami musicien iranien qui est dans le coin et qui est extraordinaire, Soroush Kamalian. J’avais prévu les arrangements et l’idée c’était de profiter du temps libre de chacun.
Encore une fois, on n’est pas du tout dans des projets où il y a une logique commerciale. Le but est de se faire plaisir, on invite les potes qui sont disponibles.
On s’est tous mis ensemble dans une pièce, on a enregistré et ça a fait deux disques. A la base, il n’était pas prévu d’en faire deux. Ce qui s’est passé, c’est qu’on a enregistré 25, peut-être 30 morceaux et on s’est dit « on verra ce qu’on en fait ». C’est vrai qu’on aurait pu échelonner les sorties, mais pour quoi faire ? Pour avoir un disque qui sort dans 6 mois peut-être et qui ne va pas forcément marcher ? On sait très bien que vu le peu d’organisation qu’on a au niveau professionnel et ce qui se passe quand on sort un disque, si je n’envoie pas un mail, personne ne le fera à ma place. Et comme je suis musicien et pas mal occupé à faire de la musique, je n’ai pas le temps de faire ce travail de diffuseur.
Il n’y a pas cette volonté justement de s’entourer de personnes à ce niveau ?
Ça n’existe pas dans ce qu’on fait. Premièrement, on est isolés parce que dans la région, il n’y a pas de diffusion et encore moins dans ce qu’on fait. On pourrait être le meilleur projet du monde, ce n’est pas le problème. On se débrouille, on en a fait notre identité.
Pour en venir sur la soirée du 9 mars au Studio L’Ermitage, comment ce choix s’est-il fait ?
Avec Nicolas Talbot, le directeur du Petit Label, ça fait longtemps qu’on parle de faire un concert de soutien pour Le Petit Label qui porte bien son nom parce que c’est un petit label qui a de tout petits moyens. Ils avaient fait un concert pour les 10 ans au Théâtre des Cordes et qui a été un succès. Pour les 20 ans, ils avaient envie de marquer le coup comme plein de groupes ou plein de projets. Pourquoi L’Ermitage ? Parce que c’est une salle à Paris qui programme assez facilement et on connait assez bien la programmatrice, Yamilé Bengana, qui est une amie.
Quand les labels ont des sorties de disque, ils ont des aides pour pouvoir louer des salles. Ça paraissait assez évident en ce qui concerne L’Ermitage, parce que c’est une salle qui colle artistiquement avec le projet. Il y a un lien affectif avec cette salle également.
Comment se prépare-t-on à ce type de date ? Est-ce que c’est une release party que vous préparez depuis longtemps ? Est-ce que les concerts en appartements que vous effectuez sont le chemin pour y arriver ?
Avec Ana Kap, pendant 6 ou 7 ans, on a fait des concerts. Un jour, comme on se marre beaucoup malgré le sérieux de notre musique, on s’est dit qu’on allait faire un peu les cons et on a bossé avec Fabrice Bisson des Joe Sature, et on a fait une création qui s’appelle « Le Trauma Show ». Ensuite, on est partis à jouer essentiellement ça pendant 5 ans et ça nous a fait marrer. Mais c’est vrai que ça fait un moment qu’on se disait qu’on aimerait bien reprendre la formule concerts. Parce que forcément, quand tu fais un spectacle humoristique, ça conditionne ta musique.
Personnellement, j’aime bien la musique triste, j’aime bien la musique lente, j’aime bien la musique chiante et j’avais envie aussi de faire de la musique comme ça. On est donc partis sur l’idée de faire ces deux disques pour relancer l’esprit concerts. On s’est lancés dans une série de concerts chez l’habitant pour se faire la main. Quand tu joues chez l’habitant, c’est comme une répétition en conditions., donc c’est parfait.
Ces concerts chez l’habitant ont commencé le 8 janvier ?
Oui, c’est ça. Et après le concert à L’Ermitage, on va continuer jusqu’à mi-juillet, en faisant un ou deux concerts par semaine. On en a entre 20 et 25 de prévus.
Est-ce qu’il va y avoir une préparation particulière pour cette release ? Les concerts en appartement donnent une proximité avec les habitants, mais qu’en est-il du rapport à la scène ?
On s’est posé la question de savoir si on allait jouer sur scène. On aurait très bien pu jouer à côté du bar parce que c’est comme ça que ça sonne le mieux. Mais ce n’est peut-être pas l’idée, on verra. Mais peut-être qu’on arrivera là-bas et qu’on se dira qu’on ne joue pas sur scène. Ce qui est bien, c’est qu’on peut faire comme on veut.
Est-ce qu’il y a un travail sur les réseaux nationaux ?
Oui, on a quand même fait un peu de travail, mais pour être tout à fait honnête, je suis fainéant avec ça. J’ai envoyé un mail à Open Jazz sur France Musique, Pascal Vigier qui est bénévole et musicien du Petit Label a contacté les musiciens qui ont déjà travaillé avec le label. Il y a une centaine d’albums sur le Petit Label, il y a peut-être 400 musiciens qui ont enregistré avec le label. S’il y en a 10% qui viennent, c’est super.
Le trio de David Georgelet qui joue avec nous a fait un gros boulot. David Georgelet a envoyé ses disques à la presse, il a acheté une pub sur Jazz Magazine, ils vont faire un live sur TSF dans la journée du 9 mars. A côté, on est un peu en mode tourisme club….
Par contre, on s’est mis un peu la pression, parce qu’on va jouer un nouveau répertoire, mais sans partitions, sans rien, alors qu’il y a de la partition dans la musique qu’on fait. C’est un peu un challenge, se dire qu’on va réussir à faire un concert avec du neuf, jouer en conditions, par cœur, libres. On a mis notre investissement là-dedans. On n’est pas très performants au niveau com, mais musicalement, on a mis pas mal d’efforts à préparer le concert.
L’Ermitage a fait jouer son réseau également ?
L’Ermitage, c’est je crois, entre 250 et 300 concerts par an. Donc les 20 ans du Petit Label avec Ana Kap et le trio de David Georgelet, ce n’est pas un événement pour eux, même si ce sont des amis. Je pense qu’ils vont relayer dans leur réseau habituel, mais je ne pense pas qu’ils aient envie de mettre un coup de marqueur sur cette date.
Est-ce que vous envisagez de rejouer ce concert en région ou au national et est-ce qu’il y a déjà des partenariats de tissés ou des soutiens et des demandes ?
On va essayer d’avoir le maximum d’opportunités, ça va se faire en région pour l’instant, parce qu’on n’a pas du tout de visibilité en dehors. On n’a pas de diffusion, on n’a pas de management, on n’a pas de communication. La seule communication, c’est notre petite page Facebook. Je fais de temps en temps un peu de com ou peu de diff sur mes temps de pauses. Mais je ne consacre pas une demi-journée à faire ça, parce que je préfère faire de la musique. Ça peut poser quelques problèmes, car à un moment, tu peux te retrouver à faire de la musique pour laquelle tu as mis tout ton cœur, mais tu la joues quand ? Tu la joues à l’occasion. On n’est pas du tout organisés, on n’a pas de plan de développement, on est à l’arrache totale. Quand on a l’occasion de jouer, on va jouer. On a certaines options pour l’instant.
Comment cela se passe pour un concert chez l’habitant ?
C’est assez simple, on a un tableau pour voir quand on est dispos tous les trois. Si une date de disponibilité correspond avec celle de la personne intéressée, la chose est réglée. C’est différent des dates que tu fais quand tu vas jouer dans les salles où tu as besoin de donner des informations sur la fiche technique, les régimes alimentaires…
On peut jour dans d’autres régions que la Normandie s’il y a trois jours de suite. Par exemple, on va peut-être partir à Nantes cet été, et la personne veut organiser trois jours de suite pour nous. C’est très simple et c’est ça qui est génial. C’est comme les disques avec Le Petit Label.
Ce genre de dates est tellement simple à programmer, et si on arrive à rester intermittents en faisant la musique qu’on aime, c’est le bonheur. Ce sont de vrais choix de vie.
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