Auditionnés devant le jury des Inouïs du Printemps de Bourges à La Luciole, Annabella Hawk, Bison Chic, Cuften et Mickle Muckle sont les quatre groupes et artistes présélectionnés pour représenter l’ex Basse-Normandie.
Les auditions 2021 ont ceci de particulier qu’elles s’effectuent sans public. L’an dernier à la même époque, 29 concerts étaient organisés dans toute la France pour choisir 33 artistes sur les 140 présélectionnés ; cette année, ce sont 132 artistes sur toute la France qui postuleront pour représenter leur territoire dans ce contexte particulier.
Pour la première année, La Luciole est antenne territoriale ex-Basse-Normandie. En 2020, la salle accueillait déjà les auditions sur le territoire bas-normand, mais cette année c’est en qualité de jury que Céline Ferry, directrice de La Luciole, et Damien Ybert, en charge de l’accompagnement des artistes, officient et répondent à nos questions (voir en fin d'article).
L’année 2020 a vu son lot de concerts et de festivals annulés, et malgré un petit sursaut à la fin de l’été et au début de l’automne, rares ont été les artistes à pouvoir se produire sur scène. Ce début d’année ne s’annonce guère meilleur, et la réouverture des salles se fait réellement attendre, que ce soit pour le public, mais également pour les artistes. On ose espérer que ce retour à la normale sera pour bientôt. En attendant, on s’adapte et on accepte cette triste réalité.
Les auditions des Inouïs sont l’occasion pour les artistes sélectionnés de se remettre dans le bain. L’enjeu est important, car il laisse augurer une visibilité sur le plan national, voire davantage si les bons contacts se font au Printemps de Bourges.
Accepter de jouer avec le minimum de personnes en face de soi. Un défi pour certains qui ont plus l’habitude des ambiances festives. C’est le cas par exemple pour Cuften qui « avoue qu’au départ il y avait un peu de stress. Monter sur scène dans ce contexte est particulier. J’ai plutôt l’habitude de jouer dans des raves ou des clubs, avec une foule debout, compacte, et dans une ambiance forcément festive, et en temps normal, je tire une énergie de tout ça, qui influe sur ma façon de jouer. Mais se retrouver devant un public restreint et assis, c’est forcément un peu en décalage avec la musique que je fais. Cependant, dès l’instant où je commence à jouer, j’ai l’esprit complètement dans ma musique, mes yeux sont la plupart du temps rivés sur mes machines. Sans parler de ma chevelure qui cache bien souvent mon visage, et a pour effet d’agir comme une sorte de bulle me permettant d’être concentré sur ma musique et d’oublier ce contexte si particulier ».
Une certaine habitude à ce type de contraintes s’est désormais instaurée, comme c’est le cas pour Annabella Hawk qui dit ne pas avoir été dérangée par le contexte : « Avec l'apparition du Covid 19, on s'adapte et finalement, on commence à s'habituer à jouer devant très peu de personnes. Que ce soit en fin de résidence ou devant une caméra. Mais l'énergie doit être la même selon moi. Pour cette audition il y avait finalement un peu plus de monde que je ne l'aurais imaginé, cela m’a redonné une certaine adrénaline qui s'était mise un peu de côté à cause de cette période ».
Pour Bison Chic, jeune projet musical, le contexte était encore autre : « On a abordé cette audition avec beaucoup de plaisir et d’envie. C’était un premier concert et on avait à cœur de concrétiser le projet en live. On avait un peu de pression mais c’était surtout l’envie de jouer ensemble et de sublimer notre musique qui étaient présentes. Montrer aux professionnels le début de notre aventure était très émouvant. En soi on était tellement contents de jouer que le fait qu’il n’y ait pas de public, on n’y a pas trop pensé. Après j’avoue que le public permet naturellement de se transcender un peu plus et de se lâcher. Le plaisir de monter sur scène est passé au-dessus de la question du public ».
Thibaut, chanteur et guitariste de Mickle Muckle, voit cette audition « comme une chance de pouvoir jouer dans de super conditions pour le son du groupe. Et concernant le public, moi ça me heurte un peu parce que ça insiste sur le fait qu'on est dans une période de libertés restreintes, mais du point de vue du groupe, on s'oblige (et on travaille dans ce sens aussi) à être le plus mobilisés possible lorsqu'on se retrouve sur scène, peu importe les conditions. Du coup, on ne pense plus à ce genre de question à partir du moment où on rentre dans une salle ».
Si la façon d’appréhender cette audition diffère selon les artistes, l’approche reste néanmoins professionnelle. Durant les jours et les semaines qui ont précédé la présentation de leur set à La Luciole, des investissements matériels ont parfois été nécessaires pour différentes raisons, mais dans un même but : parfaire cette audition dans les meilleures conditions, comme pour Annabella Hawk et son groupe : « On a effectué une remise à jour de notre live juste avant d'apprendre que nous étions sélectionnés aux auditions des Inouïs, donc cela tombait très bien. Nous avions un nouveau matériel technique qui nous permettait d'avoir un set qui sonnait au plus proche des chansons qui sont sorties ou qui vont sortir dans mon prochain E.P ». Pour Cuften également, il y a eu en amont un travail à ce niveau : « Tout d’abord, il y a eu beaucoup de préparation à la maison, et à un rythme plutôt effréné. Au moment où j’ai été contacté par les Inouïs, et où on m’a annoncé que j’étais sélectionné, je venais de changer beaucoup de matériel dans mon studio. Mes machines étaient complètement vides, et il a fallu créer très vite pour être prêt pour cette audition ».
Un autre point commun à toute cette préparation : les résidences. Ces derniers temps, les résidences se sont multipliées sur le territoire. Les SMAC et autres lieux de musiques actuelles offrent la possibilité aux artistes de travailler leurs projets dans des conditions optimum, avec le plus souvent une équipe technique à disposition.
En résidence au DOC le week-end dernier, Mickle Muckle s’est parallèlement préparé en répétant chez Thibaut « où il y a un studio depuis 3-4 ans ». Cette résidence à Saint-Germain d’Ectot leur a permis de se « décider sur un set réduit de 30 minutes avec nos deux ingé sons ». Le groupe a par ailleurs enchainé plusieurs résidences depuis fin 2020, dont une au Cargö qui a donné lieu à un projet vidéo mené par Kino Caen.
Studios de répétition, studios d’enregistrement et scènes accueillant les résidences sont donc actuellement pour les artistes les principaux endroits où les créations, nouvelles ou déjà existantes, voient le jour ou se mettent au point : « Grâce à Maxime Lunel (réalisateur du futur EP d’Annabella Hawk) et mes musiciens, nous avions travaillé au studio d'enregistrement, aux studios de répétitions grâce au Cargö, puis en résidence son pendant trois jours au Normandy à Saint-Lô. C'est en revenant de cette résidence, avec un tout nouveau set, que nous avons appris pour les Inouïs. Quelle surprise et quelle joie ! Donc samedi nous avons pu montrer le résultat de tout ce travail au jury ».
Le parcours en amont des auditions des Inouïs est quelque peu similaire pour Bison Chic : « Pour préparer les auditions on a fait deux jours de répètes au Cargö puis trois jours de résidence au Normandy. En amont, on s’est tous vus durant le mois de janvier les uns et les autres pour travailler les sections rythmiques, les mélodies guitares et les placements voix. Tout ça au Cargö ».
De son côté, Cuften a peaufiné son set entre la Bretagne et la Normandie : « Il y a deux semaines, j’ai eu la chance d’être accueilli en résidence à La Carène à Brest, en compagnie de Datura (Adrien Autret) qui est le VJ qui a mis en place cette scénographie avec les TV cathodiques. Cette résidence a été une étape cruciale, car elle nous a permis de mettre en relation son univers visuel et ma musique. Ça a aussi été l’occasion d’affiner pas mal de points du live, notamment grâce au retour critique et aux conseils de l’équipe de La Carène et d’Astropolis. Puis la semaine de l’audition, nous avons également été accueillis dans les studios du Cargö à Caen, ce qui nous a permis d’enchainer pas mal de filages afin de gagner en confiance et de retoucher les derniers détails du live – notamment les passages où j’utilise les micros, chose relativement nouvelle pour moi. Ces résidences ont été d’une aide précieuse, et m’ont notamment permis de retrouver les sensations de la scène… et ça fait du bien ! ».
Se faire du bien en se retrouvant sur scène et dans une salle de concert. C’était le besoin, l’envie et le sentiment ressentis à la fois par les artistes et par les quelques privilégiés qui ont pu assister à ces auditions. Des moments comme celui-ci nous confirment et accentuent le manque et la frustration que nous ressentons tous depuis bientôt un an.
Ne reste plus qu’à attendre le résultat pour Annabella Hawk, Bison Chic, Cuften et Mickle Muckle.
Le 20 février, Bungalow Depression, Dye Crap, Pirate et Roches Noires joueront certainement avec la même envie sur la scène du Tétris au Havre.
Entretien avec Céline Ferry, directrice de La Luciole, et Damien Ybert, en charge de l’accompagnement des artistes
L’an dernier, vous accueilliez les auditions des Inouïs pour le territoire de l’ex-Basse-Normandie, mais cette année vous êtes également pour la première fois antenne territoriale dans un contexte assez difficile en termes d’organisation. Comment une situation comme celle-ci se gère-t-elle ?
Concrètement l'organisation des auditions a demandé l'élaboration d'un protocole strict, les invitations se sont transformées en convocations et la venue des groupes s'est transformée en dérogation. Nous nous sommes attelés à toutes ces obligations pour que ce rendez-vous ait lieu. C'est difficile de travailler en éjectant toute valeur de convivialité alors que c'est ce qui nous rassemble. Toute l'équipe de La Luciole s'est mise en œuvre et a fait tout son possible. Il a fallu fermer le bar, ajouter des phases de désinfection et retravailler le moment du repas dont le protocole sanitaire a été modifié, commencer les balances à 8h du matin, faire des roulements de loges.
Tous les professionnels présents ont joué le jeu, les artistes ont été compréhensifs : on est très contents du déroulé de la journée. Ça faisait longtemps qu'on n’avait pas vécu ces moments-là. Ça fait du bien, pour les artistes comme pour nous.
Quelles ont été les étapes avant ces auditions et combien de groupes ou d’artistes ont postulé à ces Inouïs sur le territoire ?
45 groupes ont postulé au dispositif. Nous avons dû reculer la date d'ouverture des candidatures et revoir tout le planning qui ne collait pas avec le contexte sanitaire. On pensait vraiment qu'en organisant les auditions début février, ça simplifierait beaucoup l'accueil du public : raté...
Pour accueillir ces 45 candidatures nous avons constitué un jury. Nous nous sommes attelés à travailler à un jury paritaire, provenant de nos trois départements équitablement, constitué de toutes les professions et avec différentes sensibilités esthétiques. Nous avons choisi ces membres parce que nous voulions un jury bienveillant, ça a été réussi il y a eu une très belle écoute au sein des membres du jury. Pour compléter Pierre Rougean, conseiller artistique des Inouïs nous a guidé en finesse et toujours pour être constructif et Rita Sa Rego, la directrice du dispositif a été très présente avec son expertise sur les rouages à l'échelle nationale et une grande curiosité sur les talents bas normands. Une première étape a eu lieu en janvier avec la sélection sur écoute qui a permis de choisir les 4 groupes présents lors de cette audition.
Sans bien-sûr donner le résultat, ces auditions ont-elles été à la hauteur de ce que vous attendiez ?
Ces auditions ont répondu à nos attentes et nous avons vu en live quatre beaux projets que nous défendrons maintenant lors d'une sélection nationale prévue à Paris en mars. Là ce seront 30 groupes qui seront choisis parmi 60, et je suis sûre qu'il y aura des bas normands dans cette sélection !